La mystérieuse alchimie des terroirs viticoles d’exception…selon Kees Van Leeuwen…

 

(Selon un article de Jérôme Baudouin, dans « La revue du vin de France », Nov 2009) 

Les vérités de Kees Van Leeuwen, pape de l’agronomie viticole … 

« On ne peut expliquer ce qu’est un terroir en se penchant individuellement sur le sol, ou sur le cépage, ou sur le climat. Le terroir a une dimension multifactorielle. C’est à dire que c’est un écosystème où la plante interragit en fonction du climat, du sol, de l’eau et de l’homme » 

L’adéquation entre le cépage et son terroir… 

 

  • Un climat adapté 

« On constate qu’il existe un timing idéal de maturation du raisin. Il ne faut pas que le raisin mûrisse trop tôt ou trop tard. S’il mûrit trop tard: il manque de sucre et a trop d’acidité. S’il mûrit trop tôt, c’est l’inverse: trop de sucre et pas assez d’acidité et beaucoup moins d’arômes. Pour que le fruit développe ses arômes, il faut que sa maturation s’opère dans des conditions tempérées. Et dans chaque région où l’on produit des grands vins, on a réussi cette association entre climat et cépage à maturation ni trop précoce, ni trop tardive. Si par exemple, du pinot noir pousse sur un grand terroir de Bordeaux, il ne donnera rien d’intéressant, même chose si du cabernet sauvignon est planté en Bourgogne ? C’est la première condition pour élaborer un vin de terroir, c’est respecter cette adéquation entre le cépage et le climat » explique kees Van Leeuwen. 

 

  •  Le rôle complexe du sol…..
  • 

 L’adéquation entre le cépage et son sol est beaucoup plus complexe car de nombreux éléments en jeu .

     1. La physionomie du sol en surface peut faire varier grandement la maturation du raisin.

Par exemple, un sol graveleux (comme à Chateauneuf ou à Margaux) accélère la maturation du raisin. C’est ce que l’on appelle le « pédo-climat ». Des coteaux bien exposés dans la Loire peuvent permettre de gagner 5-6 jours de maturité. 

     2. La nature du sol, sa capacité à redistribuer des minéraux, de l’eau et de l’azote sont des facteurs primordiaux.

         Kees Van Leeuwen : « L’azote est le premier facteur à influencer la croissance d’une plante. La microbiologie du sol va agir indirectement sur le cycle de l’azote. Et une microbiologie trop active va libérer trop d’azote ce qui va engendrer une croissance trop active de la plante. » 

    3. L’eau sous contrainte. 

Il est connu depuis longtemps que le cep doit être maintenu sous une certaine contrainte hydrique. Si la vigne est continuellement alimentée en eau, elle pousse, fait des feuilles et des grappes, mais pas des fruits de qualité pour produire d’excellents vins.

Dès lors que la vigne subit cette contrainte, sa croissance s’arrête,ce qui limite la taille des baies et la productivité. « Dès lors qu’il n’ y a pas de contrainte hydrique, on ne peut pas parler de terroir » résume kees Van Leeuwen.

Les sols viticoles sont toujours drainants, ils laissent filer l’eau. Mais ils offrent aussi la possibilité à la plante de s’alimenter en eau, en profondeur, souvent par capillarité. Le calcaire par ex redonne de l’eau à la plante, mais juste ce qu’il faut pour la maintenir sous contrainte.

Un autre exemple : les argiles gonflantes de Pétrus qui sont gorgées d’eau mais celle ci reste peu accessible à la plante à cause des propriétés physiques particulières de cette argile; elle est redistribuée avec parcimonie, analyse Kees Van Leeuwen. 

     4. Un enracinement variable 

Au delà de la contrainte, la vigne entre en stress hydrique, ce qui peut engendrer un blocage de la maturité du raisin; le vin aura un côté végétal car les polyphénols dans ce cas n’évoluent plus.

Pour kees Van Leeuwen, le terroir ne s’exprime pas nécessairement plus si la vigne descend de plusieurs mètres dans le sol. Selon lui, « il y a des terroirs où c’est le cas, mais le bon exemple contraire, c’est le plateau calcaire de St Emilion. Les vignes ne s’enfoncent pas à plus de 50 cm, parce qu’elles sont confrontées à la roche calcaire. Les racines tapissent la roche, s’enfoncent parfois dans les fissures, mais elles se nourissent par capillarité, grâce au calcaire » 

 

  • Le rôle prépondérant de l’homme. 

Dernier facteur et non des moindres, à entrer dans l’alchimie du terroir, c’est le vigneron.

L’homme , in fine, garde bien sûr, un rôle prépondérant. C’est le chef d’orchestre, celui qui est capable de mettre en œuvre cette alchimie, de choisir le cépage idéal, qui sera en équation au sol et au climat. De nombreuses régions viticoles sont toujours à la recherche du meilleur cépage qui est en parfaite adéquation avec son terroir.  

C’est enfin l’homme qui pourra tirer profit de l’art de la communication (relations publiques, média, dynamisme commercial…) pour donner l’essor à un terroir, à une région. Ce n’est pas un hasard si les grands vins du Médoc se vendent à des prix d’or; c’est parce que les négociants de Bordeaux ont vendu ces vins en Angleterre et ailleurs, déjà au 18ème siècle…de la communication avant l’heure qui a donné une aura exceptionnelle aux crus classés du médoc ! Grâce à ce travail immense de communication, le vin « Boisson gastronomique, Produit plaisir » est passé dans ce cas dans le monde du luxe, de la spéculation et est devenu…le vin « Produit Précieux, Objet Rare ».

« Je suis convaincu qu’il y a de nombreux grands terroirs qui dorment encore parce que les conditions socio-économiques ne sont pas encore réunies » conclut kees Van Leeuwen.

Généralités sur le terroir et la production viticole.

Panorama[1]

Communément, quand il est question d’un « produit de terroir », il est entendu que ce produit possède une typicité liée à son lieu de production, et parfois que ses méthodes d’élaboration sont issues d’une tradition locale plus ou moins ancienne. Cette typicité est heureusement souvent qualitative et elle est portée par les producteurs qui normalement mettent tout en œuvre pour l’obtenir. Quand il s’agit d’un vin, la typicité doit se retrouver dans le caractère unique de ses propriétés organoleptiques. 

Mais qu’est-ce que le terroir?

C’est d’abord un territoire, c’est-à-dire une aire géographique délimitée, s’étendant sur quelques ares ou bien plusieurs km2 sur lequel une production agricole est effectuée. Dans le cas d’un vignoble, c’est l’emplacement de culture de la vigne.

Les facteurs physiques qui agissent sur la production viticole sont liés :

  • au climat,
  • à la localisation et la configuration du site,
  • au sol.

Sur le résultat de la production agricole, c’est-à-dire la vendange, pèsent également :

  • les caractéristiques de la vigne elle-même,
  • son adaptation aux conditions physiques et biologiques du lieu,
  • les choix culturaux du vigneron.


Le climat, la localisation et la configuration du site

Il est généralement admis que, dans l’hémisphère Nord, les meilleurs vins sont produits à la limite septentrionale de la culture de la vigne pour un cépage donné. En France, la Bourgogne représenterait cette limite pour le cépage pinot noir (en vin tranquille c’est-à-dire non effervescent), la Loire pour le cépage chenin etc…

En effet, schématiquement, sous les climats trop froids, les problèmes de manque de maturité apparaissent amenant des défauts gustatifs dans le vin. A l’inverse, un excès de chaleur rend les vins lourds, alcooleux et sans finesse.

Au niveau climatique, les besoins de la vigne dépendent de la température, de l’ensoleillement et du régime hydrique.

La température

En dessous de 10°C, la vigne ne produit plus, de même qu’au-delà de 35°C, la photosynthèse est perturbée. Certaines périodes sont critiques; par exemple, le froid au cours de la floraison (qui intervient en juin fréquemment) est néfaste et peut provoquer de la coulure en excès ou du millerandage. Du printemps à l’automne, pour un bon fonctionnement, la vigne doit avoir bénéficié d’un minimum de températures cumulées qui dépend entre autres du cépage. Les expositions sud, sud-est, sud-ouest sont à privilégier si le vigneron recherche une certaine précocité de sa vigne. La température du sol a également son importance car elle détermine la montée de sève et ne dépend pas seulement du climat mais également des caractéristiques du sol lui-même ou de son emplacement. Par exemple, un sol sombre se réchauffe plus rapidement qu’un sol clair par une meilleure absorption du rayonnement solaire. Et un sol en pente bien exposé se réchauffe également plus facilement car l’incidence des rayons du soleil, plus élevée que pour un sol plat, permet un meilleur apport d’énergie par unité de surface (voir ci-dessous). 

Néanmoins les températures élevées peuvent causer des dommages à la vigne (échaudage, grillures).

La qualité de la vendange ne s’obtient pas uniquement avec de hautes températures. Par exemple, en septembre/octobre, une alternance de nuits fraîches et de journées chaudes (en évitant les températures caniculaires) est favorable à la synthèse de certains composés comme les anthocyanes.

Pour les vignobles septentrionaux, un risque majeur est le gel, qui peut en une nuit compromettre la récolte de l’année. Certains vignobles, ceux dont la notoriété permet aux vignerons un revenu substantiel, comme ceux du Chablisien ou de Champagne, sont pourvus de systèmes de lutte contre le gel, comme les chaufferettes, l’aspersion ou les fils électriques chauffants.

Le gel peut provenir de la venue d’une masse d’air froid, c’est la gelée noire, fréquente en hiver mais ayant peu d’impact quand la vigne est en dormance et que le froid n’est pas trop important.
Plus grave, car elle peut intervenir au printemps alors que la vigne est active, la gelée blanche provient d’un refroidissement nocturne provoqué par une perte de calories due au rayonnement infrarouge vers le ciel. Les plantes comme le sol émettent constamment des rayonnements infrarouges. Les calories perdues sont compensées la journée par le soleil mais la nuit, en particulier par temps clair (les nuages servent d’écran et renvoient une partie du rayonnement vers le sol), la température peut descendre largement en dessous de 0°C. Un air sec, donc très transparent au rayonnement, favorise encore le phénomène. De même, l’absence de vent permet l’accumulation de l’air froid, plus lourd, vers le sol et accentue le risque de gel. Ce qui explique que les cuvettes et fonds de vallée sont plus sensibles au gel. L’état du sol intervient également car un sol tassé accumule plus et restitue plus facilement les calories, réduisant ainsi les risques de gel, qu’un sol labouré ou herbeux.

L’eau

L’irrigation d’une vigne en AOC étant généralement interdite en France, l’eau nécessaire à son métabolisme pr
ovient essentiellement du ciel (pluie, neige…). Bien que la vigne soit adaptée au climat sec, le manque d’eau ou un air trop sec nuit à son activité photosynthétique. Il s’agit essentiellement pour elle de compenser les pertes dues à la transpiration.

Les besoins en eau sont plus importants de la sortie des bourgeons jusqu’à la véraison . Ensuite, afin de favoriser le mûrissement des grappes aux dépens de la pousse de la végétation, une diminution de l’apport d’eau est préférable (un stress hydrique modéré au niveau des racines favorise l’action des hormones de maturité).

La consommation d’eau par la plante est fonction de la température et reflète son activité. Il est essentiel pour la vigne de disposer de l’eau dont elle a besoin mais pas plus. Un manque d’eau se traduit par un ralentissement du fonctionnement de la plante.

Un bon terroir assure à la vigne une bonne réserve en eau. Si le sol ne retient pas suffisamment l’eau, il est intéressant que des pluies régulières alimentent le sol. Sous un climat sec, il convient d’avoir un sol qui permet la constitution d’une réserve importante d’eau et d’adopter des techniques de culture qui favorisent cette mise en réserve (par exemple, en région sèche le vigneron réduira la densité de plantation afin de permettre à chaque pied de disposer d’un plus grand volume de sol à explorer).

Un excès d’eau à une période proche des vendanges provoque une augmentation du rendement par dilution du moût et ceci au détriment de la concentration et donc de la qualité.

La lumière

La vigne est une plante verte qui a donc besoin de lumière pour son métabolisme. En plein soleil, l’activité photosynthétique de la vigne est largement saturée, du moins pour la couverture foliaire externe. Néanmoins, la durée d’ensoleillement est importante : afin d’optimiser l’ensoleillement tout au long de la journée et de l’année, il faut en général privilégier les endroits exposés à la lumière et adopter un mode de conduite (taille, palissage, …) permettant une bonne exposition des plants. Les meilleures expositions en France sont donc sud-est, sud et sud-ouest, en coteaux pour limiter les ombres portées.

Le vent, la grêle

Le vent, sur le plan sanitaire est parfois favorable en réduisant l’humidité à l’intérieur du feuillage. Mais il peut également disséminer les spores contaminants et étendre une maladie. Quand il est fort et sec, il perturbe le métabolisme de la vigne. Sa puissance peut détruire le feuillage et les sarments des vignes, surtout des jeunes et vigoureuses.

Il ne faut pas négliger les accidents climatiques comme la grêle, capable de provoquer la mort de tout ou partie de la plante et d’augmenter le risque d’apparition de maladies. De plus, le tissu cicatriciel produit par la vigne au niveau des impacts des grêlons apporte un mauvais goût au vin (« goût de grêle »).

Le microclimat

Si les conditions générales du climat définissent une tendance, il faut noter que les conditions locales sont très importantes et peuvent être différentes entre deux parcelles voisines.

En plus de l’altitude et de l’exposition, d’autres facteurs interviennent.

Ainsi, un plan d’eau (mer, lac, étang, rivière) peut amener des brouillards sources parfois de problèmes sanitaires mais également de conditions favorables pour des vins issus de raisins atteints de la « pourriture noble » (sauternes, barsac…). Ce même plan d’eau est une réserve de calories diminuant le risque de gel (exemple des vignobles suisses près du lac Léman).

Une colline, une forêt, voire une haie ou un muret font office de coupe-vent. Une combe peut amener de l’air froid et les fonds de vallées favorisent l’apparition du gel. Une montagne peut générer un phénomène de fœhn et ainsi permettre l’apport d’un air chaud et sec au vignoble… Ces différents facteurs peuvent expliquer que, sur une même zone, certains terroirs sont plus favorables à la culture de la vigne que d’autres.

Les variations du climat d’une année sur l’autre expliquent l’effet millésime sur les caractéristiques d’un vin.


Le sol

Il est la couche superficielle issue de la modification physique et chimique de la roche sous-jacente et est constitué d’une fraction minérale et d’une fraction organique. Le sol permet à la vigne de s’enraciner et de trouver l’eau et les éléments nutritifs nécessaires. Il sert donc de support et de garde-manger à la plante. Ses caractéristiques et la manière de le travailler sont fondamentales dans la production agricole.

Formation et constitution

Le sol est le résultat d’une transformation des roches due essentiellement à des facteurs climatiques et biologiques. L’eau, l’air, le gel, le soleil, les microorganismes, la végétation désagrègent les roches et les altèrent. Le sol peut être issu de la transformation de la roche en sous-sol (roche-mère) ou d’éléments transportés (alluvions, colluvions) puis transformés.

La désagrégation de la roche correspond à son fractionnement parfois en éléments très fins par des agents comme le gel, le vent, les racines.

L’altération correspond à une modification chimique de la roche par des agents tels que l’eau, le CO2 les acides organiques et est favorisée par une température élevée. La transformation de la roche peut provoquer la libération de certains éléments, en former d’autres (argiles, hydroxydes) parfois complexes (comme des associations minéraux/matière organique). Les argiles proviennent de l’altération de roches silicatées.

Schématiquement les roches peuvent être classées en trois catégories :

  • les roches carbonatées (calcaires, dolomies..)
  • les roches acides (granites, schistes, …)
  • les roches volcaniques

Les sols issus de roches carbonatées sont fréquents en France et sont à l’origine de grands terroirs viticoles (Bourgogne, Champagne….). Ces roches proviennent de sédiments accumulés dans les mers ou les lacs et induisent la présence de sols basiques qui conviennent à la vigne. Elles contiennent une part parfois importante d’argiles qui ont une incidence sur les propriétés des sols. 

Les roches acides sont à l’origine également de terroirs viticoles réputés comme ceux du Beaujolais, du Rhône ou d’Anjou où sont adaptés les cépages comme le gamay et la syrah.

Les roches volcaniques sont rares en France, et concernent peu de vignobles en termes de superficie (Côtes d’Auvergne, Alsace, Provence, Forez…).

Le sol possède également une composante biologique ou biochimique (animaux, végétaux, litière, humus…). Issu de la dégradation des végétaux, l’humus est constitué de composés organiques de grande taille. Associé à l’argile (via des éléments tels le fer, l’aluminium et le calcium), il apporte une cohésion au sol en agglomérant ses constituants, le rendant ainsi plus stable et plus résistant à l’érosion. Dans de bonnes conditions, l’humus est capable de se minéraliser lentement sous l’action de facteurs chimiques ou biochimiques et donc d’apporter des éléments fertilisants. De plus, il stimule la pousse des racines. Sa dégradation libère des acides qui peuvent attaquer les roches et libérer ainsi des minéraux utiles pour la plante.

Il faut noter le rôle important des animaux et microorganismes dans le fonctionnement du sol.
Les insectes et les arthropodes déchiquètent et ingèrent les résidus végétaux et les racines mortes, favorisant leur transformation par les microorganismes en humus ou en éléments assimilables par la plante. Les vers, par leurs déjections, par le creusement de galeries dans le sol, en améliorent la structure, et homogénéisent ses couches en enfouissant les éléments organiques qu’ils récupèrent en surface. Ils aèrent le sol permettant ainsi aux racines et aux autres organismes de pénétrer plus en profondeur. Souvent, par l’action des enzymes qu’ils sécrètent, ces organismes améliorent l’assimilation par la vigne des éléments nutritifs.

Caractéristiques et propriétés

Le climat, la nature des roches, le type de couverture végétale ainsi que l’âge sont les paramètres essentiels qui vont déterminer les propriétés physiques et chimiques du sol.

Texture, structure

La texture et la structure du sol conditionnent ses propriétés physiques (propriétés liées à l’enracinement, propriétés d’absorption et de rétention de l’eau, porosité, …).

La texture dépend de la taille des éléments qui constituent le sol :

Taille

Nom *

> 2 mm

graviers, puis galets ou pierre, blocs

50 m à 2 mm

sables

2 m à 50 m

limons

< 2 m

argiles « granulométriques »

* La nature des minéraux n’intervient pas.

Plus les éléments constitutifs du sol sont fins, plus les minéraux sont disponibles pour les plantes (surface d’échange plus importante). La texture apporte une indication sur les propriétés du sol. Un sol contenant beaucoup de sables sera filtrant, un sol limoneux « battant » et donc relativement imperméable, etc…

Ces éléments ne restent pas isolés surtout s’ils sont fins. Ils vont s’assembler et apporter ainsi au sol des caractéristiques importantes (porosité, pénétration de l’eau et de l’air, capillarité…). Cette structuration n’est pas pérenne et dépend des conditions du moment (présence ou non d’eau, gel, labours…).

Différentes structures (compacte, grumeleuse, lamellaire, …) peuvent se constater à différentes échelles et être plus ou moins stables.

L’argile et l’humus, par leur effet agglutinant, sont en grande partie responsables de la formation de la structure. Le calcium, par son effet floculant sur l’argile, favorise sa stabilité. Les mycéliums des champignons, les racines et radicelles, l’ensemble des êtres vivants du sol participent également à sa formation.

En général, un bon sol agricole ne doit pas être compact, car asphyxiant, ni sableux, car trop filtrant. Il doit permettre la pénétration de l’eau et pouvoir en garder suffisamment en réserve. Il doit être aéré pour permettre un bon enracinement et un bon développement de la flore et de la faune. 

L’eau

Certaines caractéristiques d’un sol ont une grande importance pour la vigne, notamment sa capacité à retenir et à fournir de l’eau. Cette capacité dépend de sa structure et donc de sa porosité, des minéraux qui le constituent, de la matière organique présente, de la pente, de la couverture végétale… Par exemple un sol sableux est filtrant et retient peu d’eau (capacité au champ faible), ce qui peut être intéressant sous un climat océanique mais néfaste sous un climat sec, a contrario un sol argil
eux retient beaucoup l’eau (mais possède un
point de flétrissement élevé) quitte à devenir parfois asphyxiant pour les racines. La présence d’humus augmente la capacité au champ sans élever le point de flétrissement.

Les remontées capillaires dans un sol bien structuré (voire provenant de la roche-mère comme la craie) permettent à la vigne de disposer d’une réserve d’eau même par temps sec.

Un sol humide est plus « froid » qu’un sol sec, c’est-à-dire qu’il faut plus de calories pour l’amener à une température donnée.

Stockage des minéraux, acidité

Si le carbone (et l’azote en partie) est fourni par l’atmosphère, les autres éléments indispensables au métabolisme de la vigne viennent du sol : azote, calcium, potassium, fer, magnésium, phosphore… La plante assimile l’eau et les éléments nutritifs du sol par ses racines. Ces dernières doivent bien explorer le sol pour une meilleure résistance de la vigne en particulier à la sécheresse. Un sol profond, aéré, est favorable à cette exploration.

Le sol est, normalement, une réserve d’éléments qui peuvent être utilisés par la plante. Quand ils ne sont pas apportés par l’homme, ces éléments sont issus de la dégradation des minéraux et de la matière organique par différents agents chimiques ou biologiques. Ils doivent être mis en réserve dans le sol et ne pas être lessivés pour être ensuite assimilés par les racines. La capacité de stockage d’un sol dépend de différents facteurs dont l’humidité, les taux de limons fins, d’argiles, d’humus et la nature des minéraux.

L’argile associée à lhumus forme un complexe (complexe argilo-humique), qui constitue, dans de bonnes conditions, une réserve importante de nutriments qui pourront être rétrocédés ensuite à la solution du sol (élément liquide du sol). Ce complexe argilo-humique régularise également les taux de certains éléments dans la solution du sol en absorbant le surplus et en libérant ces mêmes éléments en cas de carence. La présence d’humus est donc un facteur augmentant la capacité de stockage du sol et permettant une mobilité des éléments stockés pour qu’ils puissent être livrés à la vigne. La présence de calcium dans le sol favorise cette mobilité.

L’activité des racines et des microorganismes, la dégradation des matières organiques acidifient le sol. Un sol trop acide possède des propriétés néfastes à la culture de la vigne (déstructuration du sol, toxicité de certains éléments comme le cuivre et l’aluminium, blocage de la dégradation de l’humus et des débris végétaux…). La présence de calcium (et de magnésium) en particulier sous forme de carbonates permet de lutter contre cette acidité. Les sols calcaires sont donc bien pourvus pour combattre l’acidité surtout s’ils sont suffisamment riches en calcaire actif (c’est à dire en particules de calcaire de faible taille).
Néanmoins, en excès, le calcaire actif est néfaste pour la vigne. Schématiquement, l’excès de calcium stabilise trop l’humus et bloque sa dégradation et même empêche la formation d’un humus de qualité. Le calcaire peut encroûter la matière organique et nuire à sa transformation en humus. De plus, il peut provoquer la chlorose ferrique de la vigne, c’est-à-dire réduire l’assimilation du fer par la plante et ainsi nuire à la photosynthèse, ce qui se traduit visuellement par le jaunissement du feuillage.

Chaque élément ou oligo-élément a son optimum d’absorption à un pH donné. Mais, un pH du sol autour de 7 ou légèrement inférieur représente un bon compromis pour l’assimilation par la plante des éléments minéraux essentiels. Un sol trop acide ou trop basique est donc un handicap sur ce point. Le vigneron devra choisir un porte greffe le plus approprié à la nature de son sol et/ou amender ce dernier pour corriger le pH (par des apports de calcaire ou de chaux pour un sol trop acide, par des amendements organiques pour un sol trop basique …).


La composante humaine

L’homme n’est pas neutre face à la nature et participe à l’amélioration d’une zone de culture par des actions parfois conséquentes : drainage, amendement, épierrage, irrigation, création de terrasses…Certains terroirs aujourd’hui réputés sont le résultat de telles actions, en particulier dans le Bordelais où certains grands crus sont drainés afin d’obtenir un terroir de qualité ou en Bourgogne où l’épierrement est à l’origine des « murgers », ces murs de pierres qui entourent certains climats.

Pour obtenir une vendange de qualité, il faut que la vigne soit en condition, au niveau de la grappe de raisin, de concentrer à des taux optima les éléments favorables à l’élaboration du vin et a contrario de ne pas y accumuler les éléments défavorables ou à des taux néfastes. Obtenir cet équilibre dans la réalité n’est pas si aisé, même s’il est possible a posteriori de corriger partiellement et artificiellement la vendange. Pour son métabolisme, la vigne a besoin d’éléments nécessaires aux différentes réactions biochimiques (eau, carbone, magnésium, azote, fer…) et a également besoin d’énergie (sous forme chimique, thermique, lumineuse). La carence ou l’excès d’un de ces éléments peuvent donc nuire au travail de synthèse de la plante. Par conséquent, il s’agit pour le viticulteur de s’assurer :

  • que la vigne dispose de manière équilibrée de tous les éléments nécessaires à son fonctionnement et qu’ils sont assimilables,
  • qu’elle dispose de suffisamment d’énergie en particulier lumineuse,
  • qu’elle n’est pas atteinte de maladies.

Dans tous les cas, la vigne ne peut pas tout faire tout le temps. Ainsi de hauts rendements impliquent des vendanges déséquilibrées par dilution du moût ou par défaut de mûrisseme
nt des raisins, même si certaines années favorables, une récolte abondante (sans excès) et de qualité a pu être obtenue. De hauts rendements impliquent également une moindre résistance de la vigne aux maladies.

Une part importante des éléments contenus dans le raisin est synthétisée dans les feuilles (sucres, polyphénols, acides..) et la surface foliaire d’une vigne doit être en adéquation avec le rendement attendu. Cette surface foliaire ainsi que le nombre de grappes par pied de vigne sont déterminées par la conduite du vignoble et en particulier par le nombre d’yeux laissés à la taille.

Le vigneron dispose de plusieurs actions possibles sur son vignoble :

  • le travail du sol,
  • l’apport d’engrais et d’amendement,
  • la conduite de sa vigne (taille, palissage, densité de plantation, rognage, enherbement, traitements…)
  • le choix du matériel végétal.  

La vigne est une plante grimpante qui privilégie la croissance de ses extrémités. Sur ce sarment, l’œil terminal est bien plus développé que les yeux en début du sarment. On comprend l’importance des choix au niveau de la taille et du palissage, qui permettent, entre autres, de contrôler ce phénomène afin de disposer d’une production régulière sur le cep.

Quand un dégustateur recherche dans un vin les caractères du terroir, il part du principe que le vigneron, par ses méthodes de culture, s’interpose le moins possible entre ce terroir et la plante. Néanmoins, il serait difficile de reprocher par exemple à un vigneron d’utiliser un système anti-gel dans ses vignes sous-prétexte qu’il faut laisser s’exprimer le millésime …

Dans tous les cas, un vin de terroir ne peut être fait que sur un bon terroir (ou alors le vin est mauvais…).

Nous avons vu qu’un sol vivant offre des caractéristiques positives pour l’agriculture par sa bonne tenue face à l’érosion, par sa structure qui lui permet d’assimiler l’eau et faciliter l’enracinement, par son rôle de réserve d’éléments assimilables par la plante. En outre, la vigne est mycorrhizée, c’est-à-dire qu’il existe une symbiose entre certaines racines et des mycéliums de champignons. La mycorrhize, qui est le résultat de l’association entre un mycélium et une racine, est favorable à la plante et au champignon. Le champignon reçoit de la vigne certains éléments nutritifs et en retour il permet une meilleure absorption des éléments minéraux, synthétise des produits activateurs de croissance et favorise le développement de la rhizosphère. Cette dernière est l’ensemble des microorganismes qui entoure les racines et avec lequel il existe des échanges souvent très bénéfiques pour la plante. Ce mécanisme, facilité par la présence d’humus, permet l’accroissement du volume de sol exploitable par la vigne.

Faire un vin de terroir, c’est déjà offrir à la vigne la possibilité de bénéficier des ressources naturelles de son sol. Il est donc de l’intérêt du vigneron de maintenir ce sol vivant et de n’apporter de l’engrais que pour compenser les pertes dues aux prélèvements des vendanges, de la taille, du rognage…Malheureusement, le sol des vignobles a généralement une faible activité biologique, ces prélèvements n’étant pas réintroduits et rarement compensés par des apports organiques. De plus, les produits phytosanitaires, largement utilisés dans le vignoble, ont une action négative sur la faune du sol.

Le vigneron est souvent un utilisateur d’engrais chimiques, d’autant plus qu’il est généralement « conseillé » sur ce plan par son fournisseur d’engrais (par exemple, certains viticulteurs font tenir leur cahier de fertilisation par ce dernier). Ce qui explique que de nombreux sols sont saturés en éléments comme le potassium, à cause d’apports abusifs. Malheureusement, le potassium se fixe très bien dans le sol en particulier calcaire et en plus des problèmes de rendement trop élevé, il peut nuire à l’assimilation d’autres éléments (magnésium en particulier) et diminuer la stabilité structurale du sol. De plus, l’utilisation abusive d’engrais chimiques incite la vigne à absorber de l’eau pour maintenir une concentration de sels dans ses tissus à un niveau acceptable. Cela a pour effet de déséquilibrer son métabolisme, d’apporter des retards de maturation et de la rendre plus sensible aux maladies.

Le terroir: comment ça fonctionne?

Terroir : comment ça fonctionne

Le mot est galvaudé, utilisé à tort et à travers. Mais la notion de terroir est une réalité sur laquelle se penchent les scientifiques.

Le terroir est-il une tarte à la crème ? Un de ces mots polysémiques ou vides de sens, favorables surtout aux marchands de rêves ? Le terroir, en effet, est mis à toutes les sauces – pas toujours ragoûtantes – et permet d’accommoder des produits bidon ou des idées vieillottes. Faut-il croire ce vigneron du Sud qui nous affirmait, il y a quelques années, que, grâce aux nouvelles techniques de vinification et avec de bons cépages, on rendait caduque la notion de terroir ? C’est ce que pensaient une majorité de wine makers californiens – beaucoup le pensent encore – qui s’en remettaient à l’eau (de l’irrigation), au soleil et aux cépages empruntés à Bordeaux pour produire des vins capables de concurrencer les plus grands crus d’Europe. C’est ce que croient ou feignent de croire les producteurs des fameux « vins de garage » qui, sur des petites surfaces et des terroirs souvent médiocres, favorisent l’hyperconcentration et la surmaturité pour produire en faible quantité des vins violets et épais, riches en alcool, que des collectionneurs fortunés mais peu avertis s’arrachent à prix d’or. Ceux-ci risquent d’être fort déçus dans quelques années. Car on sait au moins une chose de ces vins techniques, qui « dépassent leur terroir », comme il s’est parfois dit, c’est qu’ils vieillissent mal, un peu comme ces champions qui ont trop forcé sur les produits dopants. Souvent, dans des dégustations comparatives et internationales, comme ce fut la mode d’en organiser quand, en Californie, on a commencé à élaborer ce type de cru « gonflette », les grands noms médocains se sont fait ramasser par des plus gros, plus imposants qu’eux. De même pour ces chardonnays gras comme des sirops, qui écrasaient les montrachets bourguignons. Au jeu de « Que sont-ils devenus ? » la comparaison devient cruelle. Les as de l’époque semblent la plupart du temps des vieillards épuisés, tandis que les vins issus de grands terroirs ont gardé leur fraîcheur. Au fond, c’est la première preuve, absolument empirique, que le terroir existe : la durée de vie.

 

Du moins dans cette catégorie de vins, car avec des cépages moins porteurs de tanins (qui donnent au vin sa charpente) comme le gamay, on peut avoir des terroirs qui donnent de grands vins aromatiques tout en étant relativement éphémères. Mais, là aussi, on s’aperçoit qu’un gamay provenant d’un cru du Beaujolais (comme le juliénas ou le côte-de-brouilly) a, en règle générale, une aptitude supérieure au vieillissement qu’un gamay provenant de coteaux moins nobles. C’est ce qu’ont découvert, au fil des siècles, moines, propriétaires, vignerons qui n’ont eu de cesse d’isoler des parcelles et des terroirs. La Bourgogne de la Côte-d’Or en est l’exemple le plus évident, avec ses multiples crus. Mais le Médoc, de création viticole plus récente, ne l’est pas moins. La plupart des grands crus classés n’ont cessé de s’agrandir par rachat, échange de parcelles, absorption de voisins… Cependant, les responsables actuels ne cachent pas que le grand vin de chaque château provient des mêmes parcelles, définies par un périmètre, toujours le même, celui enregistré au moment du classement de 1855. Le reste sert surtout à produire le second vin.

Les anciens, avec l’aide du temps, se servaient de l’observation. Ce sont eux qui ont inventé les coteaux bien exposés au soleil et qui ont domestiqué les cépages adaptés. Par des méthodes d’analyse scientifique qui leur étaient inconnues, nous commençons à pouvoir fournir quelques explications, même si nous sommes loin de tout comprendre.

On n’explique pas tout de l’origine des grands vins

Les zones situées trop au nord ne peuvent fournir de grands vins, le manque de chaleur et de lumière bloque la maturation. C’est encore plus vrai avec les vins rouges, plus exigeants en énergie lumineuse pour réaliser ce qu’on appelle la biosynthèse des polyphénols et de la matière colorante, c’est-à-dire la fabrication des tanins et des éléments qui vont donner au vin sa couleur.

Les régions très sudistes ne sont, elles, guère favorables aux blancs, car la maturation trop rapide détruit les arômes de fruit.

 Souvent, dans les vinifications modernes, on compense en utilisant la barrique neuve, qui apporte des arômes de grillé ou de vanille se substituant à ceux du raisin. Pour les rouges, c’est un peu plus compliqué. Tout dépend de ce que l’on appelle un grand vin. Si cette notion est proportionnelle à la concentration, à la puissance alcoolique aux dépens de la finesse et de la fraîcheur, alors la notion de grand terroir devient fort abstraite. Mais là, on quitte le domaine de la science pour celui du débat d’idées, qui opposera encore longtemps ceux qui privilégient la densité à ceux qui trouvent que la beauté d’un châteauneuf-du-pape réside dans son équilibre et sa finesse.

Pour en revenir à une vision moins sujette à caution, l’état des connaissances actuelles ne permet pas de tout expliquer de l’origine des grands vins. « On a mis au jour la relation qualité et terroir : comment cela fonctionne physiquement. En revanche, pour expliquer la relation terroir et typicité, ce qui crée la palette aromatique, c’est la feuille blanche », confie Kees Van Leeuwen, professeur à la faculté d’oenologie de Bordeaux, considéré comme l’un des meilleurs spécialistes des terroirs, et auteur de plusieurs ouvrages sur la nature des sols et leur incidence sur le raisin et le vin.

En clair, on sait pourquoi une parcelle est plus adaptée à faire du vin qu’une autre ; on ignore en revanche quelles molécules contenues dans le sol transmettent au vin ces arômes de violette, de griotte ou de venaison.

« Avec le professeur Yves Glories [doyen de la faculté d’oenologie de Bordeaux], nous avons localisé des parcelles de vignes de même âge, travaillées et vinifiées de façon identique sur des terroirs différents de saint-émilion. Nous avons rassemblé les vins dans un chai unique et les avons dégustés. Ils étaient très différents. » De ces exp&eacu
te;riences les deux spécialistes ont tiré des conclusions, ou plutôt confirmé des opinions déjà émises par les anciens :

– Les sols d’argile – on les trouve sur une partie du premier grand cru classé de saint-émilion, Cheval-Blanc, mais aussi sur l’appellation voisine de pomerol, à Pétrus ou Trotanoy par exemple – donnent des vins colorés, plutôt tanniques, mais avec des tanins enrobés qui offrent au palais une sensation de gras. Au vieillissement apparaissent des notes de cuir, de viande fumée.

– Les sols de graves – une bonne part de Château Figeac notamment – procurent aux vins un fruité riche, des tanins moins aimables, plus rugueux quand le vin est jeune, une palette aromatique très large et complexe au vieillissement, une grande longueur en bouche.

– Les sols calcaires du plateau – Château Belair, Canon, la Madeleine, Clos Fourtet, etc. – engendrent des vins d’une grande finesse, avec moins de tanins mais d’une grande qualité, sans agressivité ; l’acidité, plus présente que dans les graves, donne de la fraîcheur. Ce sont des vins qui peuvent paraître fluets, mais qui gagnent en complexité en veillissant.

Des sols hiérarchisés

Pourquoi des sols aussi différents sont-ils tous porteurs de très grands terroirs ? « Il n’y a pas de facteur unique, plutôt une hiérarchie », répond Kees Van Leeuwen.

En premier – même si cela paraît bizarre pour le vin -, il y a l’eau. Le régime hydrique de la plante fait intervenir climat et sol au travers d’un phénomène que les spécialistes appellent « évapotranspiration » : la vigne absorbe de l’eau par ses racines et en relâche par ses feuilles. « Au début du cycle, à la fin de l’hiver, quand se produit le débourrement, il y a une certaine quantité d’eau disponible dans le sol, qui va diminuer au fur et à mesure. La transpiration par les feuilles dépense cette réserve. La pluie vient compenser en partie cette perte mais pas en suffisance. La transpiration doit toujours dépasser les précipitations. Aujourd’hui, on est capable de mesurer ce phénomène, notamment à partir de la modélisation, de tenir une sorte de compte en banque des réserves dont dispose la plante. Pour chaque millésime, on dispose ainsi d’un bilan hydrique. »

En 1997, millésime moyen, le bilan hydrique est très peu négatif, les pluies incessantes ayant maintenu le « compte en banque » en eau de la plante à un niveau élevé ; en revanche, pour les millésimes 2000 ou 1998, qualitativement supérieurs, le déficit est important.

« Pour faire un vin de qualité, il faut un certain déficit hydrique. Alors, la première fonction de la plante qui est affectée, c’est la croissance. Celle des rameaux et des baies s’arrête, et tous les sucres formés par la photosynthèse sont disponibles pour alimenter les baies, lesquelles sont petites et donnent plus de concentration. En cas de déficit extrême, on dit qu’il y a un stress hydrique : la photosynthèse est affectée et les baies ne sont pas nourries. Il se produit un blocage dans la maturité. »

On l’aura compris, le régime hydrique idéal, c’est un déficit certain et précoce, pour que les baies bénéficient du soleil de l’été. Pour ce faire, la qualité des sols est déterminante. « La réserve en eau d’un sol, au départ du cycle, peut varier de 80 à 350 mm. A 80, on peut avoir du stress hydrique. A 350, la réserve en eau est trop importante : avec des sols limoneux par exemple, on n’aura jamais de déficit suffisant. A Bordeaux, où il pleut beaucoup (900 mm en moyenne par an), plus les réserves sont faibles – entre 100 et 150 mm -, meilleur ce sera pour le vin. »

Le deuxième facteur déterminant pour un bon terroir, c’est l’alimentation minérale de la vigne : « Plus que le phosphore, le magnésium, le potassium, etc., c’est l’azote qui est important. Il est un redoutable stimulateur de croissance, tout comme l’eau, mais à un degré moindre, car sans eau l’azote n’a pas d’effet. Sur un sol un peu riche en eau, l’excès d’azote devient très nuisible ; en revanche, sa carence peut être un facteur qualitatif en limitant la croissance de la plante. » La vigne s’alimente en azote par l’humus, qui en libère naturellement. Les amendements organiques, le fumier contribuent à renouveler l’humus, et donc l’azote. C’est la méthode douce. Il y a plus brutal, l’apport d’azote chimique, disponible immédiatement pour les racines, et qui peut donner une vigueur contradictoire avec la réalisation d’un grand vin. « La viticulture est très différente de l’agriculture traditionnelle, car dans ce second cas on cherche à mettre la plante dans la situation optimale en utilisant azote et irrigation. En viticulture, la plante doit pousser sous contrainte, il faut qu’il y ait un facteur limitant, eau ou azote, l’idéal étant que ce soient les deux. Pour les vins blancs, c’est un peu différent. Pour que se forment les précurseurs d’arômes du sauvignon, par exemple, il faut une présence d’acides aminés, qui sont apportés par l’azote, et donc des sols un peu plus riches. Cela explique que des sols favorables aux blancs ne le soient pas forcément aux rouges. »

Une dimension historique et humaine

Enfin, le terroir a une dimension historique et humaine par la recherche des cépages les plus adaptés et par le travail de mise en valeur. C’est parce que les moines et les paysans de saint-émilion ont creusé des tranchées dans le roc pour y placer de la terre et planter de la vigne que le plateau est devenu un repaire de grands crus. C’est parce qu’en Bourgogne des générations de vignerons ont noté les saveurs uniques conférées à leurs vins, en certains lieux précis, qu’une telle mosaïque de crus existe. C’est parce qu’Arnaud de Pontac, au XVIIe siècle, a cru en l’exceptionnel potentiel de ses sols de graves que Château Haut-Brion est né. C’est aussi parce que la famille Lur-Saluces a compris très tôt la nécessité de drainer ses terres de sauternes que Château d’Yquem est un des plus grands vins de la planète.

« Certains terroirs ont été révélés très tôt ; d’autres, comme Pétrus, plus récemment. Et ce n’est certainement pas fini. Il est à peu près certain qu’il existe des terroirs à vocation viticole, qui n’attendent que la venue d’hommes dotés de capacités et de moyens nécessaires pour être transformés en grands crus… &raqu
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L’exemple de trois types de grands terroirs

A priori, ils n’ont rien de commun : le premier est composé d’une importante couche de cailloux, les graves, entourés d’argile, de limons ou de sables (voir encadré ci-contre) ; le deuxième est d’une densité argileuse impressionnante (plus de 50 %) et rappelle plutôt la pâte à modeler (voir encadré page 208) ; le troisième enfin est un bloc de calcaire apparemment stérile (voir encadré page 210). Pourtant, ces trois-là ont en commun, chacun à sa façon, de réguler l’alimentation en eau de la vigne : ni trop ni trop peu.

 

 

Sol de graves

On connaît surtout les graves du Médoc, mais ce type de sol se rencontre ailleurs, près de Montpellier notamment. La présence de cailloux rend le sol filtrant et pauvre en eau – les cailloux occupant déjà 50 % du volume.
En été, la racine va chercher en profondeur l’humidité nécessaire. En période de grande sécheresse, il se produit un stress hydrique sévère qui peut bloquer la maturité des baies. Dans ce cas, le nombre de grappes par pied, le rendement à l’hectare, est déterminant. S’il est faible, la photosynthèse se poursuit et les raisins seront mûrs et concentrés ; s’il est fort, il y a blocage, et les raisins ne mûrissent pas.

En cas de forte pluie, le sol est bien drainé, l’eau ne stagne pas vers les racines et descend rapidement vers les couches inférieures ; la plante ne peut pas en profiter. En revanche, si la pluie dure très longtemps, avec un système racinaire qui est très développé, l’eau finit par alimenter la plante et risque de gonfler les baies (millésime 97).

 

 

Sols très argileux

C’est le sol des grands pomerols. Il contient une quantité d’eau très importante, mais cette argile très dense retient l’eau, et la vigne a du mal à l’extraire, à condition toutefois que la surface soit bombée et ne forme pas une cuvette où l’eau stagnerait. Kees Van Leeuwen a mis en évidence très récemment que, dans certains terroirs historiques de graves, à Léoville-Las Cases ou à Château Latour, certaines des meilleures parcelles possédaient de cette argile en profondeur.
En cas de forte pluie, l’argile se gonfle et écrase les radicelles qui ont plongé dans les fentes. La plante dispose alors d’un système radiculaire plus réduit et absorbe peu de l’eau en surabondance, d’autant que celle-ci glisse et ruisselle sur une surface devenue compacte et imperméable.

En cas de sécheresse, les racines passent dans les fentes qui se forment et plongent en profondeur et continuent d’alimenter la plante grâce à l’énorme contenance en eau de l’argile. On n’a jamais de stress hydrique très sévère sur ce type de sol, qui peut supporter des rendements un peu plus importants que dans les graves.

 

 

Le calcaire à astéries

On rencontre ces formations sur le plateau de Saint-Emilion (Ausone, Belair, Canon), mais aussi dans les côtes de Castillon, en Champagne ou dans certaines zones de Chinon et de Bourgueil. Le bloc de calcaire tendre et épais de plusieurs dizaines de mètres est recouvert d’un sol très superficiel – environ 50 centimètres – dans lequel on rencontre une multitude de racines formant un tapis sur la roche. La plante se nourrit par capillarité ; le calcaire, qui fonctionne un peu comme le morceau de sucre que l’on maintient à la surface du café, peut fournir jusqu’à 70 % de l’eau nécessaire à son existence.

En cas de forte pluie, le calcaire, très poreux, possède une très forte capacité d’absorption et avale l’excès d’eau. C’est une sorte de réservoir sans fond. Les racines absorbent peu de cette « eau de passage », sauf en cas de pluie très abondante et durable.
En cas de période sèche, les racines agissent comme des ventouses et par capillarité tirent l’eau vers le haut, fournissant une alimentation régulière et peu abondante. La vigne subit un déficit hydrique sans jamais souffrir de stress.

 

 

Kees Van Leeuwen

A 38 ans, Kees Van Leeuwen passe pour le meilleur spécialiste des terroirs viticoles dans le monde. Dès l’adolescence, le vin est une passion, et dès l’obtention du bac, il quitte les Pays-Bas et s’installe à Bordeaux pour préparer un diplôme d’oenologie. Au départ, il pense au journalisme, puis la recherche scientifique – et notamment le fonctionnement des sols – l’intéresse de plus en plus. Auteur d’une thèse sur les terroirs de Saint-Emilion, il devient professeur à la faculté d’oenologie de Bordeaux et succède à son ancien maître, Gérard Séguin, quand celui-ci prend sa retraite. Une chaire qui requiert de l’intelligence pour l’analyse et du muscle pour la pioche…