(Selon un article de Jérôme Baudouin, dans « La revue du vin de France », Nov 2009)
Les vérités de Kees Van Leeuwen, pape de l’agronomie viticole …
« On ne peut expliquer ce qu’est un terroir en se penchant individuellement sur le sol, ou sur le cépage, ou sur le climat. Le terroir a une dimension multifactorielle. C’est à dire que c’est un écosystème où la plante interragit en fonction du climat, du sol, de l’eau et de l’homme »
L’adéquation entre le cépage et son terroir…
- Un climat adapté
« On constate qu’il existe un timing idéal de maturation du raisin. Il ne faut pas que le raisin mûrisse trop tôt ou trop tard. S’il mûrit trop tard: il manque de sucre et a trop d’acidité. S’il mûrit trop tôt, c’est l’inverse: trop de sucre et pas assez d’acidité et beaucoup moins d’arômes. Pour que le fruit développe ses arômes, il faut que sa maturation s’opère dans des conditions tempérées. Et dans chaque région où l’on produit des grands vins, on a réussi cette association entre climat et cépage à maturation ni trop précoce, ni trop tardive. Si par exemple, du pinot noir pousse sur un grand terroir de Bordeaux, il ne donnera rien d’intéressant, même chose si du cabernet sauvignon est planté en Bourgogne ? C’est la première condition pour élaborer un vin de terroir, c’est respecter cette adéquation entre le cépage et le climat » explique kees Van Leeuwen.
- Le rôle complexe du sol…..
L’adéquation entre le cépage et son sol est beaucoup plus complexe car de nombreux éléments en jeu .
1. La physionomie du sol en surface peut faire varier grandement la maturation du raisin.
Par exemple, un sol graveleux (comme à Chateauneuf ou à Margaux) accélère la maturation du raisin. C’est ce que l’on appelle le « pédo-climat ». Des coteaux bien exposés dans la Loire peuvent permettre de gagner 5-6 jours de maturité.
2. La nature du sol, sa capacité à redistribuer des minéraux, de l’eau et de l’azote sont des facteurs primordiaux.
Kees Van Leeuwen : « L’azote est le premier facteur à influencer la croissance d’une plante. La microbiologie du sol va agir indirectement sur le cycle de l’azote. Et une microbiologie trop active va libérer trop d’azote ce qui va engendrer une croissance trop active de la plante. »
3. L’eau sous contrainte.
Il est connu depuis longtemps que le cep doit être maintenu sous une certaine contrainte hydrique. Si la vigne est continuellement alimentée en eau, elle pousse, fait des feuilles et des grappes, mais pas des fruits de qualité pour produire d’excellents vins.
Dès lors que la vigne subit cette contrainte, sa croissance s’arrête,ce qui limite la taille des baies et la productivité. « Dès lors qu’il n’ y a pas de contrainte hydrique, on ne peut pas parler de terroir » résume kees Van Leeuwen.
Les sols viticoles sont toujours drainants, ils laissent filer l’eau. Mais ils offrent aussi la possibilité à la plante de s’alimenter en eau, en profondeur, souvent par capillarité. Le calcaire par ex redonne de l’eau à la plante, mais juste ce qu’il faut pour la maintenir sous contrainte.
Un autre exemple : les argiles gonflantes de Pétrus qui sont gorgées d’eau mais celle ci reste peu accessible à la plante à cause des propriétés physiques particulières de cette argile; elle est redistribuée avec parcimonie, analyse Kees Van Leeuwen.
4. Un enracinement variable
Au delà de la contrainte, la vigne entre en stress hydrique, ce qui peut engendrer un blocage de la maturité du raisin; le vin aura un côté végétal car les polyphénols dans ce cas n’évoluent plus.
Pour kees Van Leeuwen, le terroir ne s’exprime pas nécessairement plus si la vigne descend de plusieurs mètres dans le sol. Selon lui, « il y a des terroirs où c’est le cas, mais le bon exemple contraire, c’est le plateau calcaire de St Emilion. Les vignes ne s’enfoncent pas à plus de 50 cm, parce qu’elles sont confrontées à la roche calcaire. Les racines tapissent la roche, s’enfoncent parfois dans les fissures, mais elles se nourissent par capillarité, grâce au calcaire »
- Le rôle prépondérant de l’homme.
Dernier facteur et non des moindres, à entrer dans l’alchimie du terroir, c’est le vigneron.
L’homme , in fine, garde bien sûr, un rôle prépondérant. C’est le chef d’orchestre, celui qui est capable de mettre en œuvre cette alchimie, de choisir le cépage idéal, qui sera en équation au sol et au climat. De nombreuses régions viticoles sont toujours à la recherche du meilleur cépage qui est en parfaite adéquation avec son terroir.
C’est enfin l’homme qui pourra tirer profit de l’art de la communication (relations publiques, média, dynamisme commercial…) pour donner l’essor à un terroir, à une région. Ce n’est pas un hasard si les grands vins du Médoc se vendent à des prix d’or; c’est parce que les négociants de Bordeaux ont vendu ces vins en Angleterre et ailleurs, déjà au 18ème siècle…de la communication avant l’heure qui a donné une aura exceptionnelle aux crus classés du médoc ! Grâce à ce travail immense de communication, le vin « Boisson gastronomique, Produit plaisir » est passé dans ce cas dans le monde du luxe, de la spéculation et est devenu…le vin « Produit Précieux, Objet Rare ».
« Je suis convaincu qu’il y a de nombreux grands terroirs qui dorment encore parce que les conditions socio-économiques ne sont pas encore réunies » conclut kees Van Leeuwen.